par Margot Antonetti
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25 janvier 2024
L'écosystème du recrutement connaît depuis plusieurs mois maintenant une profonde, (r)évolution, qui chamboule et divise ses acteurs: l'ascension des possibilités d’automatisation (avec personnalisation plus ou moins réussie) dues au hacking généralisé de l’IA sur notre quotidien professionnel. Ce virage technologique, ce changement de paradigme, toutefois, n'est pas sans risques. La quête incessante d'efficacité, de pro-duc-ti-vité (c’est tellement à la mode), ce graal d’une gestion du temps uniquement centrée sur “les tâches à haute valeur ajoutée” fait tourner les têtes, provoque l'apparition de moult coachs et d’experts qui surgissent comme les champignons en septembre dans la forêt de Bossey, et nous impose surtout un profond questionnement sur : quelles sont mes valeurs ? à quoi ai-je envie que mes journées ressemblent ? qu’est-ce qui, pour moi, est synonyme de réussite ? dois-je nécessairement laisser de côté des choses que j’aime faire si ces heures passées ne sont pas directement rentables pour ma société ? C’est parti. Dans le recrutement, l'automatisation s'impose petit à petit (ou plutôt, à grands coups de massue !) comme une opportunité de rédiger une offre en deux coups de cuiller à pot, d'entrer en contact en 3 clics avec 10’000, de trier 5000 CVs reçus le temps d’un café à la machine, de sélectionner les candidats à partir d’enregistrements vidéos que l’on n’a même plus besoin de visionner (et qui, demain, seront réalisées par des avatars de candidats proposant les “meilleures réponses qui soient” à des questions élaborées par des machines). Bref. Un seul et objectif, aller plus vite : dans la diffusion du besoin et dans l’analyse des “matchs” potentiels. Avec l'intime conviction que pour fouiller dans la “big data”, rien de mieux que l’IA. Forcément, la qualité est au bout du chemin : des algorithmes qui s’appuient sur des algorithmes pour en extraire de nouveaux… Qu’est ce qu’on veut, déjà ? Ah oui : s’assurer que le poste qui est ouvert dans l’équipe de Jean-Michel soit pourvu rapidement, sans prendre davantage de temps à des recruteurs internes qui croulent déjà sous les besoins de recrutements stratégiques “pour hier”. Parce qu’une équipe sous-staffée, ça coûte cher, très cher à l’entreprise. Et que si Jean-Michel n’est pas content, ça va remonter dans les tours. Oui mais voilà: le recrutement, c’est une affaire d’êtres humains. Des deux côtés de la vitre. De cerveaux et de cœurs qui veulent vibrer, être stimulés, sentir une connivence, un potentiel, se projeter, imaginer, réfléchir… Ici, les algorithmes, aussi “évolués” puissent-ils être, ne trouvent pas leur place. Sans parler des multiples rebondissements qui jalonnent tout recrutement complexe (les évolutions du “marché”, de l’écosystème, des besoins, de l’équipe déjà en place, de la mission, des objectifs, des métiers, des… des… la vie, en fait). Je peste souvent contre l’algorithme de Linkedin, qui évolue continuellement, parfois de manière drastique, mais quel algorithme est capable de se positionner en partenaire infaillible des recruteurs, en oreille capable de sentir les tendances d’une industrie, d’observer les mouvements sur une zone géographique ou un métier donnés, d’écouter les petits détails qui vont en réalité changer complètement la donne, de poser les questions qui vont permettre aux Hiring Managers de peaufiner la formulation de leurs attentes ? En sacrifiant la personnalisation, l’expertise humaine, l’écoute, la sensibilité au profit de la rapidité, nous tendons à perdre une composante importante : la nécessaire considération légitimement attendue par chacun: candidat.e, recruteur.euse, Hiring Manager. Et quand cette confiance, cette alchimie n’est plus, patatras. Les taux d’ouverture et de réponse des approches directes s’effondrent, les profils sont en décalage avec les besoins, les délais s’allongent, les parties prenantes s’épuisent… tout perd son sens premier. Alors, comprendre les attentes de l'entreprise, apprendre à connaître les candidat.es, découvrir comment leur donner envie, créer un contexte leur permettant de montrer le meilleur d’eux/d’elles mêmes… Une perte de temps ? Vraiment ? Je suis convaincue que c’est là, le cœur du métier de sourceur / de recruteur: être capable d’identifier la zone ténue, le moment où une offre et un besoin se rencontrent. Et non, ce n’est ni une question de probabilité, ni de momentum… ni d’algorithme. C’est une question d’attention, d’expertise, d’envie… et de temps. Écrire un message personnalisé prend du temps, c’est indéniable. Mais vaut-il mieux en écrire 10 par jour, les adressés aux 10 personnes auxquelles les hiring Managers ont réellement envie de parler, et obtenir 8 réponses qui regorgent d’informations précieuses ? Ou vaut-il mieux appuyer sur un bouton, harceler 1000 personnes (parce que oui, quand le message n’est ni ciblé, ni personnalisé, on peut parler d'une forme de harcèlement), en faire rentrer 10 aux forceps dans son agenda pour une préqualification “à la volée” et en transmettre 2 à un Hiring Manager à bout de souffle ? Pour TheWhiteRabbit, le choix est vite vu: prendre le temps de parler aux gens - candidat.es, recruteurs.euses, Managers - c’est à la fois la clé du succès et, disons-le, ce qui fait que le métier de sourceur est le plus chouette du moment. IL EST VRAI que l’IA s’avère être une alliée précieuse pour toutes les tâches vraiment dénuées de toute valeur ajoutée, et donc d’intérêt : mais on parle ici des manipulations de back office, en aucun cas de ce qui contribue, de près ou de loin, à établir des relations avec d’autres êtres humains. En libérant du temps, bien sûr que cela permet d’en gagner pour ce qui est essentiel : la réflexion, la construction… et les interactions. Aussi, je propose de garder à l'esprit (ce point a fait l’objet d’un post précédent) le fait que derrière l'IA se trouvent des travailleurs et travailleuses sous-payés, opérant dans des conditions précaires et sur des tâches dont la répétition est plus que nocive pour leur équilibre psychique. La responsabilité sociale des entreprises adoptant l'automatisation dans le recrutement doit ici être soulignée, dès à présent et sur la durée.